Arthrose, destructions articulaires et prothèses
Les prothèses articulaires ont pour but de soulager les destructions articulaires, dont la plus connue et fréquente est l’arthrose. L’épaule et certaines articulations comme la hanche, s’opposent sur un point fondamental : La hanche est assez standardisée : une cause principale : arthrose, accessoirement les fractures, des os larges et solides où implanter une prothèse standardisée, dont les variantes sont accessoires (sans ciment, matériaux, etc...) L’épaule présente par contre une multitude de pathologies (arthrose, nécrose, fracture, épaule pseudo-paralytique). La scapula est un os minuscule rapidement usé, qui nécessite une adaptation du matériel implanté. La stabilité et la mobilité de la prothèse dépendent aussi beaucoup des muscles de la coiffe des rotateurs qui sont souvent lésés. Une seule forme de prothèse comme pour la hanche ne permet pas de répondre à tous les cas particuliers. Les prothèses d’épaule ont d’ailleurs eu longtemps mauvaise réputation du fait de leur résultat aléatoire, car une seule forme comme pour les hanches ou le genou ne suffisait pas. Depuis, de nombreux modèles ont été développés, permettant de régler tous les cas de figures. Nous procéderons du plus simple, au plus compliqué.
* Il n’existe pas actuellement de traitement médical qui permette de refaire le cartilage d’une articulation, de même qu’aucun médicament n’a pu apporter la preuve scientifique formelle de son efficacité dans la prévention de l’arthrose. Il y a néanmoins une place pour le traitement conservateur, c’est-à-dire sans prothèse artificielle. Dans les petites usures bien limitées et localisées, il est possible de faire des greffes de cartilage, ou d’utiliser une partie de la capsule. Des tentatives de remplacement de la glène complète sont l’objet de recherche scientifique mais les résultats sont pour l’instant décevants. Ces tentatives sont justifiées chez les patients jeunes de moins de 50 ans où les indications chirurgicales sont loin de faire consensus. En effet, les prothèses artificielles ont une longévité limitée car le descellement est de 20% et les ruptures de coiffe de 25% à 15 ans. Les reprises sont plus problématiques que dans la hanche, car la scapula est le maillon faible et les réimplantations sont difficiles sur cet os menu. L'indication est d'autant plus délicate que l'échec des traitements "économiques" altère la qualité du résultat des traitements "invasifs" comme les prothèses. Le traitement médical associe une certaine économie articulaire et un traitement symptomatique à base d'antalgique et d’anti-inflammatoire. Les infiltrations sont de deux types : Visco-supplémentation moins efficace que dans le genou et infiltrations de corticoïde : ces dernières doivent être utilisées avec parcimonie car trop répétées, elles peuvent fragiliser les tendons et en tout état de cause, elles ne doivent pas être faites dans les 3 mois précédant la mise en place de la prothèse. Cela augmente en effet le risque infectieux. Un toilettage articulaire par arthroscopie, peut être tenté mais les résultats sont modestes, temporaires et cherchent simplement à gagner du temps.
* Les prothèses humérales simples, notamment les re-surfaçages, sont la version «minimaliste » des prothèses humérales simples ne remplaçant que la partie humérale. Elles sont donc logiques dans les cas particuliers de nécroses humérales sans atteinte de la partie scapulaire. Elles correspondent à la mort cellulaire de la tête humérale. La glène est donc souvent normale. Les causes sont rarement retrouvées (corticothérapie, traumatisme, dyslipidémie, alcoolisme).
Ces « petites prothèses » souvent sans ciment, peuvent être mises par mini open. Leurs qualités sont de minorer au maximum l'agression chirurgicale, éventuellement de passer à travers la coiffe sans la couper et d’être rapide, donc de diminuer le taux de complication. Les prothèses de resurfaçage sont les plus rapides et faciles à poser. Elles peuvent être une alternative de sauvetage, pour des patients « à risques » : antécédents médicaux n’autorisant pas une intervention longue, risque de luxation de la prothèse en cas de Parkinson. C’est donc une solution de secours pour les cas d’arthrose centrée ou excentrée. Leur but est principalement la douleur car elles ont des résultats plus modestes en mobilité, qui ne dépasse que rarement la mobilité pré-opératoire, et un taux de succès moins prévisible. En cas de complications, elles permettent une intervention de rattrapage qui est l’arthrodèse ou blocage de l’épaule.
Cette intervention de rattrapage, est rarement indiquée (infection sévère, paralysie du deltoïde) du fait de ses résultats très modestes. Ici le résultat d’une prothèse de resurfaçage à droite et d’une arthrodèse à gauche.
* Les prothèses totales d'épaule anatomique remplacent artificiellement la totalité de l'articulation de l'épaule : humérus ET glène de la scapula.
Elles comportent un composant en général métallique fixé dans l'humérus et un composant glénoïdien souvent en plastique. Elles sont indiquées principalement dans l'arthrose et les nécroses avancées avec atteinte de la glène.
L'omarthrose centrée ou omarthrose essentielle correspond à l'usure isolée du cartilage. Elle survient en général à un âge avancé. Les destructions osseuses sont mineures, la coiffe des rotateurs est en général intacte. Il s'agit d'un des meilleurs cas de figure. Le problème essentiel est celui de la longévité de la pièce glénoïdienne de la prothèse. Elle se descelle habituellement en 10 à 20 ans. C'est également le composant le plus difficile à mettre, augmentant la durée d'intervention. Pour cette raison, certains chirurgiens ne mettent qu'une prothèse humérale, par exemple une prothèse de resurfaçage, au détriment d'un résultat, moins bon sur la douleur et la mobilité et d’un taux de ré intervention plus élevé. Le principe est le même que pour les prothèses de hanche ou de genou, beaucoup plus fréquentes au niveau du membre inférieur sur lequel nous marchons. Les prothèses d'épaule sont donc plus rarement mises. L'intervention est néanmoins habituelle, classique et réalisée depuis plus de 30 ans. Dans les cas où tous les éléments de bon pronostic sont réunis, le résultat de la prothèse d'épaule peut se rapprocher de la normalité. Les complications à moyen et long terme sont les mêmes que pour les prothèses articulaires en général : infections (environ 1 %), luxations et bien entendu usure et descellement (perte de l'ancrage de la prothèse dans l'os). Cette évolution est identique pour toute prothèse articulaire quelle que soit l'articulation concernée, sauf pour les ruptures de coiffe des rotateurs, spécifique de l’épaule et qui surviennent dans 25% des cas à 15 ans. Elles nécessitent parfois une reprise chirurgicale. Les derniers modèles de prothèse anticipent sur ces problèmes en permettant la conversion en prothèse inversée (voir plus loin), en changeant le minimum de matériel. Les queues de prothèses sont plus courtes, ce qui est suffisant en première intention et permet un changement éventuel.
Du côté de la glène qui est l’élément fragile, un progrès vient d’un meilleur ajustement de la prothèse en polyéthylène (sorte de matière plastique très résistante. Il est possible maintenant de simuler l’intervention par informatique, à partir d’un scanner de l’épaule), pour déterminer la forme idéale de la prothèse et d’avoir des viseurs pour l’emplacement idéal.
Les prothèses totales d'épaule sont contre indiquées dans les cas de destruction articulaire importante. L'absence de coiffe des rotateurs fonctionnelle est responsable de descellement précoce, de luxation post-opératoire et de résultats modestes. Cette arthrose particulière s’appelle « omarthrose excentrée ». C’est l’évolution terminale des ruptures de la coiffe des rotateurs de l’épaule.
En cas de rupture étendue de ces tendons qui stabilisent la tête de l’humérus en face de la glène de l’omoplate, se développe parfois une destruction articulaire. Cette destruction associe une usure du cartilage « arthrose » et une migration supérieure de la tête humérale. Celle-ci vient se caler sous l’acromion et la clavicule et ne s’articule plus avec la glène de l’omoplate. A ce stade, le traitement est difficile et il n’existe pas de solution miraculeuse capable de rendre simplement une épaule normale. Le traitement médical (antalgique, infiltrations et anti-inflammatoires) a l’avantage de son innocuité. Il ne peut parfois calmer les douleurs lorsqu’elles évoluent sur un mode hyper algique notamment lorsque l’épanchement articulaire est important et sous tension. La rééducation doit être prudente car elle peut aggraver les douleurs en sollicitant trop une articulation détruite. Les débridements arthroscopiques sont parfois efficaces notamment lorsque les problèmes de coiffe prédominent sur l’arthrose.
* La prothèse inversée (dont le principe revient au Pr Grammont, qui a eu l’idée d’inverser la concavité articulaire) est d’emblée stable par l’emboitement des pièces. Ceci compense la destruction articulaire et l'absence de coiffe des rotateurs.
Elles permettent d'espérer, non seulement l'indolence, mais aussi l'amélioration de la mobilité qui peut dépasser l'horizontal. Les résultats sont parfois supérieurs à certaines ruptures de coiffe sans prothèse. Les rotations restent par contre limitées, moindre qu’avec une prothèse anatomique. La stabilité immédiate de la prothèse permet par ailleurs une utilisation rapide et des contraintes post opératoires minimales pour une prothèse d’épaule.
L'inconvénient de cette prothèse est un taux de complication plus élevé: infections plus fréquentes que dans les prothèses anatomiques, probablement liées à la durée de l'intervention et à la taille du matériel. Au-delà d’une dizaine d’années, la mobilité décline du fait de la fatigabilité du deltoïde « qui fait tout le travail » Le descellement à moyen et long terme peut être accéléré par un problème spécifique aux prothèses inversées qui est le conflit entre la prothèse humérale et le pilier de l'omoplate, qui crée une érosion de celui-ci appelé « encoche ».
Celui-ci peut parfois être douloureux et fait redouter un descellement plus précoce. La glène est en effet petite. Les reprises sont toujours difficiles. C’est le point faible de la prothèse inversée. Plusieurs innovations techniques sont proposées pour éviter ce conflit. Personnellement j’ai opté pour la technique du Pr Boileau de Nice utilisant une greffe de tête humérale sur la glène au moment de la pose de la prothèse inversée, qui semblent très prometteur.
C'est en tout cas, l'option thérapeutique que j'ai prise et qui me semble très encourageante. L'intérêt de la greffe osseuse est double : Elle éloigne la prothèse humérale de l’omoplate et donc diminue le conflit et significativement l'importance des encoches. Le galbe de l’épaule est beaucoup plus harmonieux.
La prothèse est plus stable, ce qui permet une mobilisation plus précoce. La greffe osseuse a un très bon taux d'intégration et augmente d'emblée le stock osseux de la scapula. Ce type de prothèse doit donc être réservé à des cas particuliers : Patients âgés prévenus de la nécessité d'une surveillance et de la possibilité de complications. Les prothèses inversées sont indiquées également dans les cas suivant : usure majeure de la glène ne permettant pas l’implantation d’une glène en polyéthylène. Il faut reconstruire comme dans ce cas illustré par une coupe scanner, par des greffons osseux la glène, ce qui ne peut se faire qu’avec une prothèse inversée.
Les épaules pseudo paralytiques secondaires à une rupture irréparable de la coiffe des rotateurs, sans arthrose, les destructions articulaires majeures, ainsi que certaines fractures complexes peuvent relever de la prothèse inversée.
HOSPITALISATION ET SUITES POST-OPERATOIRES
La durée de l'intervention varie de 1 à 3 heures, selon la complexité, le plus souvent sous anesthésie régionale complétée par une anesthésie générale. L'intervention peut se réaliser en ambulatoire ou au cours d’une hospitalisation courte de 1 à 4 jours environ, selon l’environnement et la prise en charge par les proches. Les risques et complications per et post-opératoires sont superposables à ceux des prothèses de hanche ou de genoux, beaucoup plus courantes. La chirurgie prothétique du membre supérieur a ses spécificités : Pas ou très peu de phlébite et d’embolie pulmonaire car la déambulation est pratiquement immédiate, ce qui facilite aussi une autonomie précoce, la probabilité de réintervention sur les prothèses dans les 20 premières années est d’environ 12% alors que, en cas de chirurgie spécialisée par un chirurgien de l’épaule habitué, le taux est divisé par 2 (Gossi J Shoulder Elbow Surg 2020).. Les modalités de rééducation et la récupération dépendent grandement de la suture d’un muscle de la coiffe des rotateurs et donc du type de prothèse implantée. Les prothèses humérales et totales anatomiques nécessitent une coiffe intacte et fonctionnelle. Le tendon du muscle sous scapulaire qui a été coupé pour la mise en place de la prothèse, est suturé en fin d’intervention. Sa cicatrisation nécessite du temps comme pour les tendons de la coiffe des rotateurs. Celle-ci nécessite environ 6 semaines, une attelle de protection est habituellement recommandée pour 4 semaines, avec deux semaines de prudence supplémentaires. La rééducation et les gestes de la vie quotidienne sont limités à ce qui est décrit au chapitre l « rééducation des épaules fragiles » et « rééducation du sous scapulaire ». Les prothèses inversées n’imposent pas de cicatrisation tendineuse permettent une mobilisation immédiate sans limitation de secteur, et l’attelle n’est pas nécessaire, les complications et le résultat sont superposables avec ou sans attelle***. Il convient d’être prudent en évitant les efforts pendant un mois. La fixation définitive de ces prothèses où existe souvent un composant sans ciment, n’est acquise complètement qu’à l’échéance d’un mois. L’attelle évite les excès pendant ce mois et ne doit être portée que pendant les situations à risque et la nuit. Il est rare qu’un centre de rééducation pendant un certain délai, soit nécessaire.
Il existe des cas où il est difficile de choisir entre prothèse totale anatomique et inversée :
- La coiffe des rotateurs est continu mais de mauvaise qualité et risque de se rompre secondairement favorisant descellement ou luxation de la prothèse humérale.
- La glène de l’omoplate ou scapula est très usée : les possibilités de compensation des glènes prothétiques en polyéthylène sont moins importantes que les reconstructions osseuses des prothèses inversées. C'est en effet la seule avec "métal back" glénoïdien qui permettent de faire une reconstruction de la glène, car les greffes osseuses derrière une glène en polyéthylène ne consolident pas.
- Patient très âgé ne souhaitant pas attendre les 3-4 mois nécessaires et les contraintes inhérentes à l’acquisition des résultats de la prothèse anatomiques.
*** Mia S.Hagen et col, J Shouler Elbow Surg (2020) 29, 442-450