Pathologie de la coiffe
Rupture de la coiffe des rotateurs
La coiffe des rotateurs est un groupe de petits muscles qui entourent la tête de l’humérus de l’articulation de l’épaule comme le fait une coiffe qui maintient les cheveux, ce qui explique ce nom.
En fait la fonction essentielle de ces petits muscles est de maintenir la stabilité et la cohésion de la tête humérale de l’épaule sur l’omoplate. Cette articulation est en effet très mobile et se déboîterait sans ces muscles.
Ces muscles sont de petite taille, courts, profondément enfouis sous des muscles volumineux comme le deltoïde (A) qui donne la force et la rapidité au mouvement de l’épaule. Ces petits muscles s’abîment progressivement avec l’âge et peuvent se rompre spontanément ou à la suite d’un traumatisme plus ou moins important,( 10 à 30% des gens de plus de 70 ans auraient une rupture). Plus les gens sont jeunes, plus le traumatisme doit être en général important. La rupture débute en général sur le muscle sus épineux. Il n’y a pas de possibilité de cicatrisation spontanée. L’évolution naturelle des ruptures de coiffe (B) est un agrandissement inéluctable et progressif de la taille de la rupture, de même qu’un accroc dans une étoffe s’agrandit progressivement s’il n’est pas réparé. Parallèlement à la taille de la rupture, la coiffe se rétracte, perd de sa souplesse et le muscle dégénère en graisse, de façon quasi irréversible. Pendant un certain temps, la réparation reste possible, mais il existe un point de non-retour où, la rupture trop grande d’une coiffe trop rétractée et sclérosée ne peut plus être réparée. Cette vitesse d’évolution reste une grande inconnue, variant de quelques mois à quelques dizaines d’années. Une utilisation importante accentue probablement les lésions, tout comme le suggère l’analogie avec l’accroc d’un tissu. Contrairement à un pantalon, il n’y a pas de pièces pour repriser la coiffe dans le corps humain. Il y a quelques artifices techniques chirurgicaux pour réparer les grandes ruptures, mais le résultat escompté s’éloigne alors de la normalité. A la longue, et selon un délai très variable selon les patients qui peut aller de quelques années, voir dizaines d’années, l’aggravation de la rupture entraine d’abord l’impossibilité de lever l’épaule, puis parfois une arthrose d’épaule. Celle-ci est dite excentrée par opposition à l’arthrose centrée lorsque les tendons sont intacts. Initialement, l’épisode de rupture peut être insidieux, passer inaperçu. Il survient souvent brutalement, lors d’un traumatisme ou d’un effort et est responsable d’un épisode dit « d’épaule pseudo-paralytique » c’est-à-dire d’impotence fonctionnelle complète et douloureuse, qui est probablement liée à l’hématome et à la sidération musculaire réflexe. Cet épisode peut s’améliorer avec le temps grâce au reste de la coiffe saine. Ceci peut être obtenu avec des traitements médicaux et des traitements simples, antalgiques et anti-inflammatoires, infiltrations ou rééducation. La rééducation permet de rééquilibrer et de renforcer les différents muscles sains restants. La guérison n’est jamais complète avec au minimum, une certaine fatigabilité et un manque de force. La rupture n’est en effet souvent que partielle. La théorie du câble de Burkhead explique la persistance d’une fonction d’une coiffe même rompue.
Le bord cicatriciel de la rupture de la coiffe se comporte comme un câble de pont suspendu par l’intermédiaire duquel l’action des muscles se transmet néanmoins à l’humérus. Dans quelques cas, l’épaule reste douloureuse, non pas du fait de la rupture qui, en elle-même, n’est pas douloureuse, mais du fait d’accrochage et de conflit dans les mouvements de l’épaule qui n’est plus bien équilibrée du fait de la rupture de la coiffe. L’exposition ou une souffrance du tendon du biceps est aussi une cause de douleurs rebelles. La rupture spontanée ou la section de ce tendon douloureux apporte souvent une amélioration. C’est l’observation de ce phénomène qui a donné l’idée aux chirurgiens de couper ce tendon peu utile pour soulager les patients avec une intervention simple.
Les solutions thérapeutiques sont nombreuses, leurs désagréments augmentent avec leurs ambitions. Il faut différencier d’abord les traitements réparateurs, et ceux qui ne cherchent pas la restitution de l’anatomie et donc à réparer les tendons, et qui sont appelés traitements conservateurs. Ceux-ci ne permettent pas la cicatrisation de la rupture du tendon, (qui est définitive sans réparation chirurgicale) mais peuvent soulager les douleurs et peuvent permettre de retrouver une fonction satisfaisante. Les traitements conservateurs sont d’abord non chirurgicaux par antalgiques et anti inflammatoires, voire infiltrations et rééducation. Les anti-inflammatoires par voie générale ou par infiltration, diminuent l’épanchement synovial qui contient les molécules de l’inflammation et de la douleur. L’infiltration aide à la rupture du biceps, car la cortisone a un effet atrophiant connu sur les tendons. La rééducation agit sur l’équilibre musculaire et « le rodage » des surfaces de glissement. La rééducation est délicate, nécessite souvent une balnéothérapie et doit être entreprise par des kinésithérapeutes spécialisés et formés. L’arthroscopie avec acromioplastie et section du long biceps, débridement sous acromial, est la version chirurgicale du traitement conservateur car elle ne répare pas non plus la rupture tendineuse. Elle consiste essentiellement à nettoyer et favoriser le glissement des surfaces articulaires. Elle cherche à supprimer les conflits et les accrochages, entre les bords de la coiffe rompue et l’arche acromio-coracoïdienne située juste au-dessus et qui soutient le muscle deltoïde. Pour cela, les instruments et une caméra sont introduits dans l’épaule par des petites incisions cutanées de moins d’1 cm. Ceci permet d’épargner au maximum la peau, les muscles et les structures articulaires, et donc de diminuer les inconvénients de la chirurgie de l’épaule. Elle est efficace sur la douleur et la fonction. Elle a l’avantage d’avoir peu de complications et ne nécessite pas d’immobilisation voire même de rééducation postopératoire. Ne réparant pas la coiffe, elle ne protège pas de la dégradation ultérieure. Elle sera indiquée dans le cas suivant :
- Ruptures de coiffes douloureuses dont la probabilité de cicatrisation est faible (cf. score ci-dessous)
- Patients ne souhaitant pas supporter les contraintes et la durée toujours longue des suites post-opératoires.
- Patient considérant que le rapport bénéfice/inconvénients de la réparation n’est pas intéressant : A partir d’un certain âge où les besoins fonctionnels sont réduits et la durée de vie limitée, se discute de consacrer trois à six mois de sa vie restante pour réparer, immobiliser et rééduquer une coiffe dont le bénéfice à court terme est modéré et ne sera important qu’une ou plusieurs décennies plus tard. Une étude comparative effectuée par la Société Française d’arthroscopie (Flurin), chez des patients de plus de 70 ans, montre que la réparation apporte environ 7% de gain sur les performances et la fonction, après un an, comparativement au débridement simple. Naturellement et physiologiquement, la force et la fonction du membre supérieur baisse de 1% par an. Schématiquement, la réparation permet de gagner 7 ans de dégradation naturelle.
- Patients peu gênés et d’un certain âge. L’intérêt prophylactique ou de prévention de la dégradation ultérieur est difficile à certifier. Même cicatrisé, certaines réparations de coiffe peuvent laisser des douleurs et des gênes résiduelles, comme la montrer le dernier symposium de la Société Francophone d’Arthroscopie à Rennes. Il existe une solution de rattrapage des ruptures d’évolution défavorable qui est la prothèse inversée. Celle-ci redonne mobilité et est très efficace sur les douleurs. Il s’agit d’une intervention plus lourde aux suites potentiellement plus compliquées, mais qui est une solution de sauvetage toujours disponible à distance.
La réparation de la coiffe, qu’elle soit faite chirurgicalement ou par arthroscopie, est une chirurgie qui vise à refaire l’anatomie originale. Son ambition est d’abord de stopper ou tout du moins de ralentir le plus possible l’agrandissement inéluctable de la rupture. Le dernier symposium de la Société Française d’arthroscopie à Rennes retrouve 94% de cicatrisation des réparations de rupture de bon pronostic comme dans le Rohi score. La réparation permet par ailleurs d’avoir une meilleure fonction et plus de force par rapport à la non-réparation, (Ces avantages en font une indication particulièrement importante chez les gens jeunes et actifs). Elle consiste à raccrocher les tendons pour qu’ils cicatrisent et retrouvent leur fonction. Elle n’est pas toujours possible lorsque les tendons sont très dégénératifs ou que la rupture est massive avec une rétraction et une dégénérescence du muscle. Il est maintenant possible de prévoir la probabilité de cicatrisation d’un tendon grâce à des calculs de scores qui tiennent compte de l’âge et des caractéristiques de la rupture. Le RoHi score de Kwon en est un. D’autres critères aident à prendre la décision comme l’espace sous acromial, la longueur du tendon.
Quel que soit la technique, la réparation par des sutures est initialement fragile et ne supporte pas une mobilisation active immédiate et une utilisation normale. Les sutures doivent être protégées, le temps de la cicatrisation naturelle, qui prend le relais des sutures. Il faut concevoir les sutures comme des tuteurs qui soutiennent une plante le temps qu’elle s’enracine ou comme un serre-joint le temps que la colle durcisse. Si le matériel est trop sollicité, les sutures se défont et c’est l’échec. Au-delà du temps de cicatrisation (qui dépend de la bonne nature et sur laquelle, il n’y a pas encore de traitement médicamenteux pour l’accélérer), le matériel et les précautions deviennent inutile. La période nécessaire d’immobilisation et de mobilisation purement passive est très variable selon les chirurgiens, ce qui peut être déroutant. Cette ambiguïté est liée au fait qu’une minime tension sur le tendon est aussi un facteur de cicatrisation et qu’il y a de nombreux facteurs qui interviennent sur la cicatrisation. Une immobilisation courte de 2 à 4 semaines accélère la récupération, est gratifiante à courts termes, mais augmente le risque de mauvaise cicatrisation. Cela est d’autant plus important que la taille de la rupture et importante****. La suture du tendon n’est pas suffisamment solide pour résister à tous les mouvements du quotidien. Elle doit être protégée par une attelle supplémentaire. Il en existe deux sortes : les attelles qui plaquent le bras coude aux corps appelées souvent Attelle de Dujarier et les coussins d’abduction. De nombreuses marques en fournissent en pharmacie avec des Velcros qui permettent de les remettre facilement par le patient lui-même après sa toilette et la rééducation. Elle se met par-dessus l’habillement (cf Immobilisation de l’épaule). Les attelles d’abduction sont utilisées dans plusieurs cas : un risque élevé de rupture de la réparation et les réparations des ruptures postérieures. Cette position détend la réparation. Certains chirurgiens les recommandent systématiquement. Il n’existe pas de preuve médicale de la supériorité d’une attelle sur l’autre pour les ruptures ordinaires du supra spinatus. La technique de référence de réparation a longtemps été celle de la chirurgie à ciel ouvert. La réparation sous arthroscopie s’impose progressivement comme la technique recommandée. 95% des réparations de coiffe sont faites par arthroscopie aux USA. Les freins à son utilisation sont une difficulté technique indéniable qui nécessite un long apprentissage et donc nécessairement d’une hyperspécialisation pour les chirurgiens, et un surcoût non négligeable. Les avantages l’emportent cependant largement : beaucoup moins de complications (1/10000 infection contre 0.5% pour la chirurgie par exemple), moins de douleurs et surtout deux qualités essentielles qui sont importantes pour l’avenir :
- La capacité d’ajuster le geste arthroscopique aux lésions. Le bilan par scopie est très complet. L’arthroscopie permet de tester la souplesse de la coiffe qui s’évère parfois réparable alors que la rupture est massive. Elle retrouve des lésions non prévues sur l’imagerie préopératoires comme des désinsertion du sous scapulaire difficile à visualiser en imagerie, et qui pourront être traitées. Si la rupture ne s’avère pas réparable, il est néanmoins possible de réaliser des gestes efficaces : Il est possible de faire des réparations partielles, aboutissant à la réparation du câble de Burkaed, et d’une fonction utile. Au minimum, sera réalisée une ténotomie du biceps, selon son aspect, voir une acromioplastie efficace sur la douleur et, évitant ainsi les contraintes et les inconvénients importantes de l’ouverture du deltoïde obligatoire en chirurgie classique.
- Le respect du muscle deltoïde. Les réparations ne cicatrisent pas toujours ni complètement, ce qui n’est pas étonnant concernant un tendon dégénératif qui s’est souvent usé spontanément. Il faut donc garder à l’esprit la possibilité dans les décennies suivantes, de réopérer, notamment par une prothèse inversée. La qualité de son résultat dépendra de celle de deltoïde !
Certains cas particuliers relèvent encore d’une chirurgie conventionnelle, notamment quand il est nécessaire d’utiliser un autre muscle que celui de la coiffe pour la réparer. L’utilisation d’un autre muscle sain pour réparer et remplacer un muscle disparu ou trop abimé s’appelle un transfert palliatif. On peut ainsi prendre une partie des pectoraux pour remplacer un muscle sous scapulaire absent, ou le muscle grand dorsal pour pallier la disparition des rotateurs externes. La prise du muscle sain, nécessite la plupart du temps une chirurgie classique. La technique de réparation ne modifie en rien les durées d’immobilisation qui sont liées aux capacités de cicatrisation du tendon et donc aux délais de cicatrisation. Ceux-ci sont liés à la physiologie de cicatrisation humaine. La recherche s’oriente principalement vers ce domaine pour fiabiliser et raccourcir la cicatrisation tendineuse.
****: Does early motion lead to a higher failure rate of better outcomes after arthroscopic rotator cuff repair? A systematic review of overlapping Meta analyses, Brian M.Saltzamn, J Shoulder Elbow Surg ( 2017) 26, 16891-1691
Pour visualiser l’intervention, Cliquez sur le site suivant :
https://www.orthoillustrated.com/shoulder/tears/animation/31-rotator-cuff-repair-with-arthrex-suturebridge