Rééducation des ruptures de coiffe des rotateurs
La rééducation des réparations de la coiffe des rotateurs navigue entre deux écueils : La rupture itérative de la réparation (qui survient à 78% dans les trois mois de la réparation, c’est-à-dire la période post-opératoire), et l'enraidissement de l'épaule (qui persiste rarement à long terme (entre 3 et 10% à un an). La rupture de la réparation, est secondaire à la défaillance de la suture qui ne résiste pas selon les études anatomiques réalisées, à des mouvements actifs. Elle est favorisée par le caractère souvent dégénératif, fatigué, du tendon qui s'est rompu initialement spontanément ou avec un traumatisme modéré. La réparation est faite à l'aide de fils et d’ancres qui maintiennent le tendon au contact de l'os avec lequel il doit cicatriser. Cette cicatrisation n'est jamais effective avant la 6ème semaine post-opératoire justifiant de grandes précautions et notamment le port d'une attelle. Le non-respect de ces consignes multiplie par 152 fois le taux de re-rupture. Il faut donc éviter tous les mouvements et situations risquant d'arracher les fils de réinsertion osseuse. La coiffe des rotateurs, notamment le sus épineux, sert essentiellement au mouvement d'élévation du bras, notamment en position intermédiaire entre 30° et 135° d'élévation. L'attelle évite les faux mouvements et diminue les risques de traction intempestive, facilitant ainsi la cicatrisation mais diminuant également les douleurs. Il est également très important de ne pas faire de mouvements actifs, notamment d'élévation, qui vont tirer sur le muscle et le tendon. Lors des manipulations, du changement de pansement ou de l'ablation de l'attelle pour la rééducation, il est donc nécessaire que le bras soit complètement détendu, (soit tenu par l'autre main, soit par une force extérieure comme le kinésithérapeute). Au repos, Il est donc important de garder son bras, contre le thorax, de façon à détendre les muscles de l’épaule. La cicatrisation de la réparation se fait progressivement. On discerne donc plusieurs périodes. La phase 1 de cicatrisation fibreuse où la mobilisation doit être strictement passive, lorsque le bras n’est pas immobilisé par l’attelle. Il est très important de différencier les mouvements actifs, actifs aidés et passifs. Lors de la mobilisation passive, l’épaule bouge sans que les muscles de l’épaule ne se contractent, grâce à une force extérieure : kinésithérapeute, gravité en pendulaire ou poussée d’Archimède en balnéothérapie. En actif, ce sont les muscles de l’épaule qui font bouger l’épaule. En actif aidé, une force extérieure aide et soulage les muscles de l’épaule à des degrés divers. La mobilisation passive permet l’habillement, la toilette et la douche ET la rééducation. Elle doit être progressive, selon le calendrier suivant, pour une rupture de petite ou moyenne taille. Il s’agit d’un calendrier indicatif pour la mobilisation encadré par le kinésithérapeute qui doit rester peu douloureuse et confortable :
Elévation passive dans le plan de la scapula | Rotation externe à 20° d’abduction | Rotation externe à 90° d’abduction | Elévation active | Phase | |
Sem 1-2 post-op | 60-90° | 0-20° | NON | NON | PHASE 1 |
Sem 3-6 post-op | 90°-120° | 20-30° | NON | NON | PHASE 1 |
Sem 6-9 post-op | 130-155° | 30-45° | 45-60° | 80-120° | PHASE 2 |
Sem 9-12 post-op | 140 et au delà | 30 et au delà | 75 et au delà | 120 et au delà | PHASE 2 |
Il est donc possible de mobiliser l’épaule rapidement avant la cicatrisation complète. D’une manière générale, Les risques de re-rupture augmentent avec la taille de la rupture et chez les patients fumeurs, diabétiques ou ayant du cholestérol. A contrario et paradoxalement, les petites ruptures semblent générer plus de raideur que les grandes, tout comme le diabète, les problèmes thyroïdiens, les ruptures traumatiques et les épaules raides avant l’intervention. Les deux mouvements de base sont le pendulaire et le glissé sur une table : Le pendulaire consiste à laisser tourner son bras comme un pendule à la verticale de son épaule, en se penchant en avant. Il nécessite une certaine décontraction. En effet, ce ne sont pas les muscles de l'épaule qui font tourner le bras mais une autre force : soit l’autre bras, soit le kinésithérapeute, soit le mouvement d'inertie donné par le corps. Plus le corps est penché en avant, plus les mouvements pendulaires sont de grande amplitude, c'est à dire les cercles plus grands, plus l'élévation relative du bras est importante. A l'extrême, il est possible de s'allonger sur le ventre, bras pendant en dehors d'une table ou d'un lit pour augmenter l'amplitude du mouvement. L'apprentissage du pendulaire est important dès qu’il est nécessaire d’écarter le bras, (même à minima), pour permettre l'habillement normal et la toilette. En effet, en se penchant en avant et en laissant l'épaule se détendre, l'aisselle est dégagée et permet de se laver, en décontraction des muscles de l'épaule. Il est également ainsi possible d'enfiler la première manche d'une chemise ou d'un vêtement de façon à s'habiller normalement. L'attelle peut être remise ensuite par-dessus les vêtements. L’élévation n’est d’abord que modérée, mais il faut tendre à une détente complète, du bras vraiment relâché, en horizontalisant son buste pour atteindre 90° d’élévation.
La technique du glissé sur plan lisse utilise le glissement sur un plan lisse. La méthode la plus commode est d'utiliser une table bien lisse et glissante, de poser dessus un linge et de pousser vers l'avant les mains en utilisant comme force le poids du corps. Pour être certain de rester passif, la main saine est posée sur la main du bras opéré et la pousse. L’élévation doit se faire dans le plan de la scapula ou omoplate. Le mouvement est facile mais la difficulté majeure est de rester strictement passif, en se détendant. La rotation externe est indispensable pour pouvoir élever le bras et doit être travaillée avec insistance. Cette rotation externe doit être, là aussi, passive en utilisant soit une force extérieure, soit la poussée de la main saine par l’intermédiaire d’un bâton. Il est nécessaire pour cela de maintenir le coude contre le thorax, soit avec une ceinture, soit en bloquant son coude avec un bord de porte ou un accoudoir. L'autre bras, par intermédiaire d'un bâton, pousse sur la main de façon à l'éloigner le plus en dehors possible.
Une autre technique est possible toujours en solidarisant le bras au thorax par la ceinture de l’attelle : la main attrape un point fixe comme une poignée de porte. En tournant son corps en sens inverse, on exerce une rotation externe à l’épaule. Toutes ces manœuvres peuvent être faites après avoir retiré l’attelle et laisser le bras descendre sauf dans des cas de suture fragile où ces mouvements doivent être faits à partir de la position de l’attelle. Dans les grandes ruptures notamment postérieures, la tension de la suture est diminuée en rotation externe, ce qui justifie parfois l’utilisation d’une attelle d’abduction-rotation externe. NB : il est préférable de faire de nombreuses et courtes séances d’auto-rééducation dans la journée, plutôt que de faire une ou deux séances intensives qui sont souvent douloureuses. La douleur est un obstacle aux progrès et doit être ainsi combattue par l’utilisation du glaçage et des anti-douleurs. Il faut éviter de rentrer dans le cercle vicieux : douleurs-immobilisme-raideur, car la raideur est douloureuse en soit. Dans certains centres, des arthromoteurs sont disponibles.
La phase 2 débute à partir de la 6ème semaine quand la cicatrisation fibreuse est obtenue. La résistance du tendon cicatrisé à cette date, ne dépasse pas 30% de celle du tendon normal. Elle n’attendra la moitié qu’à la 12ème semaine. Les exercices actifs entrepris devront tenir compte des limites de cette progression, et ne pas être trop intensifs au début. Les mouvements d’assouplissements, qui sollicitent modérément le tendon réparé, seront introduits : L’auto-élévation, le glissé sur un mur et l’araignée, et la rotation externe et l’élévation allongée En piscine et en balnéothérapie, le bras flotte naturellement dans l’eau avec une bouée tenue dans la main pour le soulever. Seul l’abaissement est actif et peut être progressif. En salle, l’élévation en passif, et en actif aidé, peut être fait par le kinésithérapeute qui soulève le bras, à l’aide d’un système de poulie, ou d’un arthro-moteur en restant bien détendu du côté opéré. Dans le cas où la réparation est relativement solide, il est possible d’élever le bras passivement par auto-mobilisation. Cette auto-élévation sera favorisée par la position allongée. En effet, à partir de la verticale, l’élévation est favorisée par la gravité et le poids du bras. Pour lever le bras et le maintenir, il suffit de tenir les deux mains accrochées ensemble, doigts entrelacés ou au mieux, la main saine enserre le poignet du coté opéré. Le début de la mobilisation active se doit d’être progressif pour tenir compte de l’augmentation progressive de la résistance de la cicatrisation tendineuse. Il convient donc d’augmenter progressivement les contraintes surtout dans l'arc douloureux, c'est-à-dire entre 45° et 135° d'élévation où le bras de levier est le plus important et donc les contraintes maximales. Les mouvements actifs devront être aidés au début et progressifs La rééducation active utilisera plusieurs astuces :
- Utiliser une force accessoire externe, (Le glissé à la verticale ou manœuvre de l’araignée est un peu plus douloureuse),
- diminuer la force nécessaire en travaillant bras fléchi,
- Utiliser la poussée d’Archimède en piscine
- l’excentrique en course courte à partir du zénith(1). En effet dans cette position, le muscle est en course raccourcie et les tractions sont donc minimales sur la suture. Le poids du bras a tendance à décomprimer la réparation tendineuse, alors qu'en position basse, la contraction du deltoïde a tendance à écraser le tendon sous l'os acromial. Toutes ces raisons expliquent l'intérêt de commencer la rééducation active à partir de la position haute au zénith. Celle-ci commence par du « placé tenu », c'est-à-dire que la main est placée passivement par les kinésithérapeutes, la pouliethérapie ou l'autre main saine du patient à la verticale. Il faut alors essayer de tenir la position en restant bien entendu au niveau infra douloureux(2). La moindre douleur excessive, la moindre douleur importante, le moindre lâcher doit faire recourir à une force extérieure. Petit à petit, le bras pourra être abaissé en sachant que la zone douloureuse et dangereuse est autour de l'horizontal. Ceci pourra se faire progressivement sur plusieurs semaines, à cheval entre la phase 2 et la phase 3. On peut diminuer les contraintes en fléchissant le coude(3) et en utilisant toujours les forces extérieures. Lorsque la descente aura été complète et indolore(4), le mouvement inverse pourra commencer à être rééduqué et travaillé.. La phase 3 de rééducation ne peut être envisagée que si deux conditions formelles ont été remplies : Cicatrisation physiologique du tendon (qui ne peut être considérée comme acquise sur le plan théorique d’après des études animales sur des tendons sains, qu’à partir de 15 semaines post-opératoires) et mobilité passive complète. En effet, la raideur induit probablement des contraintes supplémentaires sur le tendon. Une erreur habituelle est de vouloir renforcer la force alors que la mobilité est incomplète. La récupération de l’amplitude passive prime sur toutes les autres considérations. On ne peut passer à la phase suivante qu’en ayant complété les deux premiers étapes.
- La phase 3 est celle du renforcement des différents muscles de l'épaule. Même en cas de résultat complet sur la douleur et la mobilité, il faut rester très prudent, avant la 15 semaine post-opératoire en raison de la lenteur de la régénérescence des tendons et des muscles. La reconstitution des fibres normales os-tendon n’est assurée qu'à partir de la 15 ème semaine. Il convient donc d'éviter de manière générale, pendant cette période, voire au-delà s'il reste quelques douleurs, les mouvements répétitifs en élévation, notamment en rotation interne, c'est-à-dire coude en haut, pouce vers le bas. Une astuce pour mémoriser la position est celle de la position du pouce : pouce en haut ou dans la position, c’est OK ; pouce en bas, rien ne va. Les postes de travail doivent être modifiés par le médecin du travail. La vie quotidienne doit utiliser des petites astuces comme avoir des tabourets accessibles pour aller prendre les objets en hauteur, abaisser les tables de repassage de façon à ce que l'épaule reste en position basse. Les mouvements faits coude au corps, coude verrouillé contre le thorax peuvent être faits sans problème particulier. Le danger se situe en hauteur. La musculation, l'utilisation d'haltères, la pratique de sport à risque ou contact ne se conçoivent qu'à partir du 3ème mois post-opératoire si l'épaule est ressentie comme normale et le plus souvent au-delà.
- Références : Conférence de Consensus de la Société Américaine de Rééducation de l’Epaule dans : Journal of Shoulder and Elbow Surgery Vol 25, N°4, 521-535